Les barrières invisibles dans la vie d’une femme

Les barrières invisibles dans la vie d’une femme
Nathalie Rapoport-Hubschman

L’apparence, les émotions, les relations aux autres, la sexualité, les enfants, le travail et le bonheur… Autant de dimensions où se marque profondément la différence liée au fait d’être une femme. Autant de domaines hérissés, pour les femmes, de barrières encore trop souvent négligées ou niées.

À l’heure où la médecine commence à reconnaître les différences de genre, la psychologie cherche, dans un souci louable d’égalité, à les gommer. Pourquoi ce paradoxe ? Où est le vrai combat ?

Pour Nathalie Rapoport-Hubschman, c’est en prenant conscience de nos différences et des obstacles qu’elles engendrent que les hommes et les femmes, ensemble, pourront les dépasser. D’où ce livre, salutaire.

Après vingt siècles d’histoire des hommes, le XXIe siècle sera-t-il celui des femmes ?

Albin Michel, février 2018

 

Introduction du livre

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Ce n’est pas le livre que j’avais prévu d’écrire. Cela faisait longtemps que j’avais en tête un livre sur la place du corps dans la vie des femmes. Mais plus j’avançais, plus je réalisais que ce n’était pas ça qu’il me fallait écrire. C’était bien plus précis que ça. Avoir un corps de femme, être vue, perçue, identifiée comme telle, joue un rôle central dans la façon dont nous construisons la personne que nous sommes, dont nous construisons notre identité d’individu de sexe féminin. Plus j’avançais, plus il me paraissait important de parler de ce qui se passe non seulement dans le corps mais aussi dans la tête des femmes. Il fallait parler des différences psychologiques.

Les nombreuses femmes que j’ai rencontrées pour écrire ce livre m’ont livré des évocations passionnantes de leur vie. De chaque entretien, je suis ressortie pleine de gratitude pour celles qui avaient pris le temps de partager leurs expériences, m’apportant l’éclairage d’autres regards que le mien sur ce que certains ont appelé la «condition féminine». Pourtant, je sentais bien qu’il me manquait quelque chose que j’avais du mal à définir. Chaque fois, j’étais confrontée à la même impression. Ces entretiens ne donnaient pas les réponses aux questions que je me posais. Et puis, j’ai fini par comprendre. Entretien après entretien, j’accumulais des récits passionnants, des expériences riches, stimulantes, touchantes. Pour toutes celles que j’ai interrogées, les différences entre femmes et hommes n’étaient pas un sujet de préoccupation et le fait d’être une femme n’avait pas pesé sur leurs choix de vie ou donné lieu à des difficultés particulières. Cela ne cadrait pas avec une autre vision de la réalité, non pas individuelle mais collective. Si tout était si simple, comment expliquer un tel déséquilibre dans la répartition hommes-femmes dans la vie publique ? Dans la majorité des domaines, les faits étaient là.

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La faible représentation des femmes, non pas aux premiers échelons de la hiérarchie professionnelle mais au-delà, en position d’autorité, aux postes de PDG, présidentes, auteures, productrices, cheffes d’entreprise… devait bien avoir une explication. L’idée que la représentation déséquilibrée des femmes dans la vie publique reposait sur des choix délibérés de leur part ne me paraissait pas satisfaisante. Les travaux scientifiques qui, en sociologie, en psychologie ou en neurosciences commençaient à faire le point sur les différences entre les femmes et hommes proposaient de nombreuses pistes de réflexion. Discrimination, biais, blocages des femmes elles- mêmes… – les raisons paraissaient nombreuses.

Or, ces aspects n’étaient pas apparus dans les discussions pourtant très ouvertes de mes entretiens. Pas étonnant. Au milieu des années 1980, déjà, lorsqu’on demandait aux femmes si elles étaient discriminées en tant que femme et si elles pensaient que les femmes étaient discriminées, le contraste entre les deux réponses était sans appel : un non franc d’abord, un oui massif ensuite. Les femmes interrogées répondaient que la discrimination concernait les autres femmes – mais elles ? Pas du tout. Près de quarante ans plus tard, la situation est la même. Celles que j’ai interrogées m’ont fait les mêmes réponses quand je les poussais dans leurs retranchements.

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« Oui, c’est certain, il existe encore des difficultés pour les femmes. Mais, moi, cela ne m’a jamais posé de problèmes. »

Si vous, lectrice ou lecteur, avez la même perception, ce n’est donc pas étonnant. C’était aussi mon cas. C’est en faisant des allers-retours entre les études scientifiques et la réalité qu’une autre image s’est peu à peu dessinée. C’est cette image cachée, souvent invisible, que j’ai voulu montrer ici : le reflet des forces souterraines qui n’apparaissaient pas dans mes discussions avec ces femmes, dont elles ne parlaient pas, et qui pourtant ont une influence majeure sur leur vie.

J’ai choisi de construire ce livre autour des sept dimensions qui ont une place centrale dans la vie des femmes : la beauté, les émotions, les relations aux autres, la sexualité, les enfants, le travail et le bonheur. Dans chacune de ces dimensions, j’aborde des points essentiels, ceux qui marquent profondément la différence liée au fait d’être une femme et constituent des facteurs limitants, que j’ai appelés les barrières invisibles. Probablement du fait de ma formation de médecin, j’ai longtemps attribué certaines des différences femmes-hommes à la biologie. J’avais tendance – je le vois maintenant rétrospectivement – à minimiser l’impact du rôle joué par la société sur la construction de l’identité des femmes (les parents, les amis, l’école, le regard des autres).

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Ma vision a bien changé. Il est évident qu’on ne peut soutenir que ce qui fait une femme est purement biologique, ou d’ailleurs purement sociétal. Une bataille terrible se livre à ce sujet dans les milieux scientifiques, les supporters des deux bords assénant des arguments d’autorité, comme s’il fallait choisir son camp. Or, il est impossible de séparer l’influence de la biologie de celle de l’environnement. Les deux sont intimement mêlés. Chacun naît avec des dispositions qui sont ensuite modelées par les expériences de la vie.

De plus, reconnaître l’existence de différences femmes- hommes ne signifie pas qu’elles sont le reflet de la nature profonde et figée des femmes. Bien au contraire. C’est en parlant de ces différences que l’on se donne les moyens de les faire changer. Les nier serait comme refuser de reconnaître que la Terre est ronde. Bien sûr, chaque individu est unique, il existe davantage de différences entre les individus qu’entre les femmes et les hommes et toutes les femmes ne possèdent pas toutes les caractéristiques qui sont abordées dans ce livre. Pour autant, si l’on souhaite faire bouger les lignes et permettre aux femmes et aux hommes de vivre heureux ensemble, nous devons reconnaître et accepter les différences. C’est la seule façon de faire tomber ces barrières.